Qu’est-ce qu’une organisation apprenante ? Entretien avec Orange Web TV

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SEP-GRIS-EXTRAIT

"Il faut faire attention à la gadgétisation des outils d’apprentissage, qui doivent être adaptés à chaque environnement et à chaque métier. Mettre en place des solutions digitales n’est pas créer une culture apprenante. Les technologies sont très secondaires."

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Dans le cadre de travaux sur l’évolution de la formation chez Orange, Antoine Amiel était invité de la Web TV d’Orange à parler d’organisation apprenante.

Le terme « d’organisation apprenante » refait surface depuis quelques temps. Comment définir ce terme ?

Derrière le terme d’organisation apprenante se cachent plusieurs visions et définitions. Pour faire très simple, une organisation apprenante met en place des stratégies pour apprendre en continu, dans un environnement changeant et instable. Mais plusieurs courants de pensée abordent ce sujet.  Dans son livre fondateur “ The fifth discipline”, Peter Senge définit l’organisation apprenante comme “ un groupe d’individus qui travaillent ensemble pour améliorer leur capacité à atteindre des résultats dont ils se soucient vraiment”. On le voit, c’est large. L’organisation apprenante touche donc aussi bien à la culture managériale qu’aux processus de partage et transmission de la connaissance dans une structure.

L’organisation apprenante touche donc aussi bien à la culture managériale qu’aux processus de partage et transmission de la connaissance dans une structure.

A quoi est dû le regain de popularité du terme d’organisation apprenante ?

Il est dû à notre environnement qui est en constante évolution, à la mondialisation qui réduit les barrières à l’entrée au fait que des géants économiques apparaissent et disparaissent. Toute cette instabilité engendre des difficultés à identifier les compétences dont on a besoin et dont on va avoir besoin. L’objectif est alors d’essayer d’anticiper ces évolutions notamment grâce à la veille et la détection de signaux faibles, à la curiosité, à la culture de l’expérimentation et du retour d’expérience. Il faut cependant faire attention à ce que le terme d’organisation apprenante ne devienne pas un prétexte pour justifier des changements permanents, vécus comme arbitraires par de nombreux travailleurs. Les termes vagues comme celui-là peuvent très vite servir à justifier un peu tout et n’importe quoi, et devenir des injonctions paradoxales, comme d’autres mots-valises du management et de l’innovation.

Quel est le lien entre employabilité et organisation apprenante ?

Le terme d’employabilité est souvent connoté négativement dans l’esprit des Français : il est perçu comme quelque chose d’anxiogène ou d’instrumentalisé par la pensée ultralibérale. Nous pensons que de manière générale, il vaut mieux prévenir que guérir. L’employabilité peut donc se lire de deux manières :  c’est la capacité d’un individu à révéler son potentiel, mais aussi sa capacité à intégrer le marché du travail. Dans une organisation apprenante, les employés sont tournés vers le futur et partagent leurs connaissances pour mieux travailler et s’adapter. La culture de l’apprenance favorise l’employabilité car elle nous rend plus ouvert à l’extérieur, capables d’anticiper. Mais je le répète, l’employabilité ne doit pas devenir une dictature du changement permanent et un prétexte pour précariser les gens. Il n’en reste pas moins que le travail change rapidement et que subir ce changement n’est idéal pour personne.

La culture de l’apprenance favorise l’employabilité car elle nous rend plus ouvert à l’extérieur, capables d’anticiper.

Concrètement, avez des exemples de pratiques d’apprentissage qui sont courantes au sein des organisations apprenantes ?

Il faut faire attention à la gadgétisation des outils d’apprentissage, qui doivent être adaptés à chaque environnement et à chaque métier. Mettre en place des  solutions digitales n’est pas créer une culture apprenante. Les technologies sont très secondaires. Ce que les entreprises apprenantes font de très bien, c’est qu’elles apprennent tout le temps et non pas seulement lors de formations. Elles apprennent par le tutorat, le compagnonnage, les communautés, l’apprentissage en situation de travail et bien sur la formation formelle. C’est un apprentissage continu au travail. Pour développer cet esprit d’organisation apprenante, on peut commencer par cartographier les compétences présentes dans une organisation mais aussi aider les individus à prendre conscience de leurs propres compétences.

Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur la notion d’évaluation ?

Pour être dans une culture apprenante, il est nécessaire d’avoir des points de mesure, et donc d’évaluer.  Grâce à sa solution Learning Boost, LearnAssembly mesure l’agilité d’apprentissage des organisations pour savoir comment les aider, tout en conservant l’anonymat des individus. Or, en France, nous avons un rapport compliqué à l’évaluation. Dès les bancs de l’école, l’évaluation est souvent vécue négativement, elle est stressante. Il y a alors un problème auquel il faut répondre : comment mettre en place une évaluation rassurante, comment créer cet espace de discussion nécessaire à l’apprentissage, sans que ce soit forcément une sanction ? C’est très compliqué à mettre en place en France. Certaines personnes nous disent quand on leur parle d’apprendre “ J’ai 40 ans, il est hors de question que je retourne à l’école”. Leur crainte de l’évaluation, du jugement est épidermique. Dans d’autres cultures, le feedback est valorisé, au risque  de parfois tomber dans l’overdose de feedbacks. Nous avons besoin en France de professionnaliser la culture de l’évaluation, pour qu’elle soit réellement utile, pas seulement une sanction ou un outil instrumentalisé.

Certaines personnes nous disent quand on leur parle d’apprendre “ J’ai 40 ans, il est hors de question que je retourne à l’école”.

Certaines personnes nous disent quand on leur parle d’apprendre “ J’ai 40 ans, il est hors de question que je retourne à l’école”.

Concrètement comment apprendre à se former ? Et comment identifier les bonnes formations parmi toutes celles existantes ?

« Apprendre » et « se former » sont deux choses différentes. On peut se développer au travail par l’apprentissage en situation de travail,  l’auto-formation, le tutorat, et par pleins d’autres moyens. Pour beaucoup de gens, “ apprendre ” et se former sont synonymes. C’est un peu comme si on disait que pour se déplacer, il faut forcément prendre la voiture. Ou que pour éprouver un sentiment religieux, il fallait forcément être pratiquant. Pour paraphraser Ivan Illitch dans “Une société sans école”, on confond l’acte d’apprendre, avec l’institution qui le représente.

Il faut donc aider chacun à mieux diagnostiquer ses besoins puis à trouver les bonnes solutions d’apprentissage. Aujourd’hui, on assiste à une explosion des  contenus à vocation pédagogique à cause du numérique. Pour pouvoir s’y retrouver, il est nécessaire de faire de la veille et de la curation. Mais cela ne suffit pas, il faut ensuite que ces contenus soient rassemblés en flux contenu, analysés, et c’est là que les fonctions Ressources Humaines ont un rôle nécessaire en tant que conseillers pédagogiques.

Quel rôle peuvent jouer les managers ? N’y a-t-il pas un risque qu’ils ne se limitent qu’à l’utilisation des plateformes pour apprendre ?

Mettre en place une culture apprenante ne peut pas être que de la responsabilité des Ressources Humaines. L’enjeu est d’impliquer les managers dans cette transformation. Mais eux aussi sont noyés avec toutes les fonctions qu’ils ont à occuper, il faut donc les accompagner, les coacher et les responsabiliser pour qu’ils deviennent à leur tour des ambassadeurs de l’apprentissage en continu. Tout comme il ne faut pas tout attendre des Ressources Humaines il ne faut pas non plus tout attendre des managers. Un autre point sur lequel il faut être vigilant : le détournement du concept d’organisation apprenante pour abandonner les individus et ne pas prendre ses responsabilités en tant qu’organisation. L’organisation apprenante, ce n’est pas laisser le gens seuls face à un écran ou leur dire qu’ils se formeront en situation de travail  sans rien mettre en place.

L’intergénérationnel au sein des entreprises est-il un frein ? Il y a par exemple la génération Z qui connaît très bien le digital car elle a grandi avec.

Je ne suis pas très à l’aise avec la catégorisation par générations car elle est très réductrice, mais il est certain que les nouvelles générations ont grandi avec le numérique et que cela change leur rapport au monde. Ils ont cette capacité à être très adaptable, à switcher d’un sujet à l’autre, mais d’un autre côté ils sont aussi exposés à la maladie du XXIèmesiècle du « Fear of missing out », le FOMO, cette peur de rater des choses qui entraîne une culture de l’instantanéité, du zapping qui n’est pas du tout favorable à l’apprentissage. Il y a donc un besoin de faire mûrir les capacités des plus jeunes à apprendre. D’autant plus qu’ils ont cette envie de progresser, d’avoir des feedbacks et des zones de test. Les personnes plus expérimentées peuvent les accompagner dans ce travail, les deux profils sont complémentaires. Personnellement je pense qu’il est préférable de valoriser l’expérience plutôt que le jeunisme. Le jeunisme tue les entreprises en ostracisant de nombreuses personnes, en créant de l’exclusion. Le culte de la jeunesse est un culte de la performance qui est en totale contradiction avec notre société vieillissante.

Faisons un focus sur l’intrapreneuriat au sein des organisations. On a l’impression que c’est inné d’apprendre en tant qu’entrepreneur.

C’est vrai, j’ai commencé avec LearnAssembly alors que j’étais encore en école, je n’avais alors ni compétence, ni réseau. Les entrepreneurs vont chercher à aller très vite en apprenant des retours d’expériences de ceux qui ont déjà fait et en apprennent en agissant. Ils développent et maîtrisent très bien le social learning, l’apprentissage continue par l’action, l’auto-formation, le peer-to-peer, notamment dans les incubateurs. On n’apprend jamais mieux que lorsque l’on est confronté à la situation réelle. Un incubateur d’entreprises est en fait une organisation apprenante. Demain, les équipes formation ou “learning and development” se positionneront comme des incubateurs de talents et de compétences et moins comme des services administratifs de gestion.

En quoi l’intrapreneuriat dans les entreprises permet de développer une culture d’entreprise apprenante ?

Pour se placer dans l’optique d’une entreprise apprenante, il faut être ouvert sur les moyens et travailler en équipe pluridisciplinaire pour profiter des compétences de tout le monde. Mais il n’y a pas besoin d’être dans une startup interne pour être dans un état d’esprit d’intrapreneur. Chacun à son niveau dans son quotidien peut apporter sa touche et sa motivation pour faire de son environnement un environnement apprenant.

L’entreprise libérée et l’organisation apprenante, quel rapport ?

Il y a clairement une communautés de pensée entre l’entreprise apprenante et l’innovation managériale, qu’on appelle aujourd’hui entreprise libérée,  un terme un peu galvaudé. L’entreprise apprenante repose sur l’idée d’une vision partagée, d’une certaine transparence, d’une bienveillance managériale, d’une culture de l’expérimentation donc de la liberté. Le command and control et l’organisation apprenante ne vont pas bien ensemble. Une entreprise qui aurait un niveau de maturité très avancé sur l’apprenance se rapprocherait d’une entreprise dite libérée.

Quel rôle de transmission du savoir pour ceux qui partent en retraite ?

La dévalorisation des personnes âgées dans notre société est une catastrophe. Dans les entreprises, le fait de ne pas valoriser les personnes expérimentées fait passer à côté de beaucoup de talents, c’est du gâchis. Ce sont des personnes qui ont des capacités très implicites, tacites, qui sont précieuses. Il faut créer une culture de transmission du savoir, d’autant plus que les personnes qui aimeraient transmettre leur savoir sont nombreuses. Et de surcroît les jeunes aiment être guidés  apprendre de mentors. Tout le monde n’est pas fait pour être un mentor, mais la perte de compétence collective pour une organisation peut se chiffrer très rapidement. Quand il faut faire appel à des expertises extérieures car le savoir a été perdu, c’est dommage. Le fameux ROI de la formation dont tout le monde parle pourrait commencer par évaluer le coût de recherche la compétence hors de son organisation parce qu’on ne sait qu’on l’a, ou qu’on l’a perdue.

Vaut-il mieux se former en grandes écoles et à la fac ou se former sur le terrain ?

On est pas obligés d’opposer les deux. En France, on est touché par le syndrôme de la « diplômite aiguë », on est souvent défini par son diplôme. Il est impossible d’avoir un discours optimiste sur l’employabilité et l’apprentissage en continu si l’on en revient sans cesse sur les diplômes des gens. Le vrai défi est de changer cet état d’esprit chez les recruteurs. Le fait d’avoir des expériences  nombreuses, des reconversions, parfois même très courtes devrait être plus valorisé. Quelqu’un qui a quitté son entreprise pour monter son projet et a échoué a énormément appris. Plutôt que de le stigmatiser, valorisons cet apprentissage. Et il faut garder en tête que plus de 70% des tâches professionnelles ne nécessitent pas d’avoir été diplômé d’un master ou d’un doctorat. Il faudrait préférer des petites formations en continu. Et laisser chacun libre d’être acteur de son propre parcours professionnel.

Vers quoi le métier de Responsable Formation est-il amené à évoluer ?

Il a un très beau futur. Ce sujet des compétences devient très stratégique, les responsables de formation doivent se rapprocher de leurs collaborateurs, pour pouvoir définir des parcours personnalisés. Ils sont également amenés à s’imprégner de la culture tech et à créer des parcours de compétences, en somme leur palette s’élargit. Mais le pivot ne sera pas facile.

Une fois que je suis formé, comment faire pour que mes compétences soient reconnues ?

Une compétence se développe parce qu’elle est exercée en situation de travail, concrètement. Se former, peu importe le moyen, ne suffit pas. Les expériences vécues sont bien plus essentielles que les certifications obtenues, c’est davantage celles-ci qui font valoriser.  Les certifications sont très utiles pour des populations moins diplômées ou souhaitant se reconvertir. C’est avant un signal qu’elles envoient au marché du travail. Pour les autres, l’obsession de la certification c’est se tromper de combat.

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