Les solutions digitales n’accélèrent pas du jour au lendemain la mobilité de tous les collaborateurs, mais elles permettent de démocratiser l’accès à l’information, d’encourager les salariés à engager une discussion avec leurs managers, bref "d’ouvrir le débat"
Cet article à été rédigé par Pauline Rochart, spécialiste du futur du travail et des organisations.
La technologie promet de nous rendre la vie plus simple. Voyager, se loger, se former… facile, « il y a une appli pour ça ». Le monde du travail n’y a pas échappé et les start-up de la « HR tech » ont massivement investi les entreprises. La promesse ? Fluidifier les processus RH à chaque étape de « l’expérience collaborateur » : marque employeur, recrutement, formation, bien-être au travail… Un champ stratégique a vite retenu leur attention : la mobilité interne. De nombreuses solutions digitales proposent aujourd’hui de cartographier les compétences de vos collaborateurs, anticiper les besoins de formation et ainsi personnaliser les parcours de carrière. Ces outils changent-ils vraiment la donne ? Et en quoi transforment-ils profondément le métier de RH ?
Les processus de mobilité interne en entreprise sont souvent perçus comme opaques et « politiques ». Le réseau informel joue un rôle déterminant et quand un poste s’ouvre, il n’est pas rare de constater que « les dés sont pipés à l’avance ». A première vue, le besoin semble clair : il faudrait objectiver tout cela ! Et pour objectiver, rien de mieux que la donnée. Thierry Majorel, manager « open innovation » chez BPI Group en est convaincu : « en matière de gestion des talents, l’entreprise performante sera celle qui sera capable de piloter la donnée et de l’utiliser intelligemment en fonction de ses besoins ». Aujourd’hui, pour piloter la mobilité, “les entreprises jonglent entre différentes bases de données, de simples tableaux excel et des ERP servant des processus », rappelle Thierry Majorel.
Régulièrement, les RH lancent des projets de refonte de « référentiels de compétences ». Or, ces démarches demandent un effort considérable et il est impossible d’actualiser les compétences à la vitesse à laquelle les métiers se transforment. De plus, ces tableaux ne donnent généralement pas de vision globale des savoir-faire disponibles dans l’entreprise, ce qui freine la transversalité inter-métiers.
Grégoire Boutin, co-fondateur de la solution Boost.rs souligne un autre problème : la notion de « talent management » est réservée à une élite : « une grosse partie de l’enveloppe budgétaire est dépensée pour 10% des collaborateurs, bien souvent des « cols blancs ». Programmes de formation continue, MBA, coaching et test de personnalité : en effet, on ne lésine pas pour « retenir et fidéliser les talents ». Et on le sait, plus on se forme, plus on est en capacité d’évoluer en interne.
L’enjeu, c’est aussi de démocratiser la gestion des carrières et de s’adresser à tous les salariés de l’entreprise. « Les employés de métiers dits « peu qualifiés » ou les agents de catégorie B/C dans la fonction publique disposent de peu d’autonomie en matière de gestion de carrière, ils passent souvent sous les radars des RH » rappelle Grégoire Boutin.Boost.rs propose alors d’identifier les compétences disponibles dans l’organisation, de repérer les métiers connexes et ainsi permettre aux collaborateurs de se projeter. Plus on rendra l’information disponible et lisible par les collaborateurs, plus les employés se lanceront dans des démarches de mobilité. « Les solutions digitales n’accélèrent pas du jour au lendemain la mobilité de tous les collaborateurs, mais elles permettent de démocratiser l’accès à l’information, d’encourager les salariés à engager une discussion avec leurs managers, bref « d’ouvrir le débat ».
L’enjeu, c’est aussi de démocratiser la gestion des carrières et de s’adresser à tous les salariés de l’entreprise.
Whoz, e-lamp, boost.rs, 365 Talents… les start-up ne manquent pas. Mais alors pourquoi toutes les entreprises ne se sont pas dotées d’outil digital de « gestion des talents » ? L’accueil des RH reste frileux car ils craignent que l’algorithme remplace l’humain. « L’outil de cartographie des compétences est très bien accueilli car il répond à un vrai besoin, mais quand il s’agit de déployer la solution de manière globale, c’est une autre paire de manches » confie Grégoire Boutin. En effet, que deviendra le gestionnaire de la formation si le « talent management » est piloté à l’avenir par des outils ? Les craintes sont légitimes, ces outils impliquent une transformation profonde du métier. Pour Thierry Majorel, « les RH doivent devenir les managers de la donnée, c’est-à-dire, en garantir la fiabilité, un usage éthique et pertinent en fonction des besoins de l’entreprise ».
Les métiers se transforment, de nouveaux apparaissent, la GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences) telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui peine à suivre le rythme. Adeline Bernery, responsable transformation dans le domaine de la data au sein du groupe Safran, abonde « l’approche GPEC est old school dans les entreprises, elle est lente et trop top down : le central s’adresse aux comités métiers, ceux-ci font remonter les besoins, ça redescend, on fait des grilles… ce n’est plus adapté à notre rythme ».
Pour autant, dans ses missions, Adeline a tenté de faire appel aux « HR tech » mais a été déçue par leurs propositions « ces outils permettent de cartographier les compétences mais les solutions pour analyser les compétences transférables et faire des ponts entre les métiers sont encore trop faibles ». De fait, l’outil ne peut pas tout, s’il permet de collecter la donnée, il reste une « aide à la décision ». C’est pourquoi les start-up proposent souvent de se coupler avec des cabinets de conseil pour effectuer ce travail d’analyse. In fine, pour l’entreprise, la note est salée.
L’outil ne peut pas tout, s’il permet de collecter la donnée, il reste une « aide à la décision ».
Grégoire Boutin est formel « je ne suis pas naïf, nos solutions ne vont pas se substituer aux processus humains ». Les solutions digitales peuvent redonner une certaine forme d’autonomie au collaborateur et permettre aux RH de disposer de données fiables et globales mais l’accompagnement humain reste crucial. Si l’entreprise décide de se doter d’une solution technologique pour faciliter la mobilité, les RH doivent embarquer les collaborateurs, les former sur la prise en main de l’outil, leur expliquer ce que cela changera en matière de gestion des carrières : bref, communiquer. Beaucoup et souvent.
Pour faciliter la mobilité et fluidifier réellement la gestion des carrières, ces outils doivent être sponsorisés par la direction générale, conçus avec toutes les parties prenantes de l’entreprise (RH, managers, collaborateurs), testés et déployés avec une stratégie de communication claire.
Accompagner la mobilité des salariés requiert encore des compétences dont l’intelligence artificielle ne peut se prévaloir
Thierry Majorel ajoute que finalement ces outils sont une aubaine pour les RH « ils permettront aux RH de se concentrer sur des tâches à plus haute valeur ajoutée, moins de procédures, plus de contact humain ».
En effet, accompagner la mobilité des salariés requiert encore des compétences dont l’intelligence artificielle ne peut se prévaloir : l’écoute, l’empathie, le conseil, la capacité à aider le collaborateur à se projeter, à lui faire confiance…Tout n’est pas susceptible d’être mesuré et rationnalisé, et c’est tant mieux.
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