Interview de Steve Danino : FROJAL Education veut redonner ses lettres de noblesse aux hard skills

8 mn de lecture

SEP-GRIS-EXTRAIT

Découvrez l’interview de Steve Danino, directeur de FROJAL Education, la filiale du groupe familial FROJAL qui développe des écoles d’excellence dans des domaines d’expertise essentiels aux entreprises.

SEP-GRIS-EXTRAIT

Learn Assembly a interviewé Steve Danino, directeur de FROJAL Education. Ce nouvel entrant dans le secteur de l’éducation a centré son action sur l’enseignement des hard skills. Nous vous partageons également sa vision sur le secteur de la formation et de l’éducation (jusqu’en 2023, Steve Danino portait l’activité du cabinet de conseil en stratégie Roland Berger dans le domaine).

Pourquoi avoir lancé FROJAL Education ?

FROJAL, c’est une histoire entrepreneuriale qui débute avec Francis Lefebvre, qui était lui-même formateur. Quand le family office FROJAL, actionnaire majoritaire du groupe Lefebvre Dalloz, a décidé d’engager une diversification de ses activités, il s’est donc tout naturellement tourné vers le secteur de la formation initiale.

En synergie avec l’organisme de formation professionnelle continue du groupe Lefebvre (Lefebvre Dalloz Compétences, 4e acteur du secteur), FROJAL souhaitait donc se diversifier avec un projet ambitieux : développer plusieurs écoles pour former des centaines d’étudiants dans des domaines d’expertise essentiels aux entreprises d’aujourd’hui et de demain. D’où la naissance de FROJAL Education. Notre priorité est de former des professionnels complets avec de solides compétences techniques, et en misant prioritairement sur l’alternance.

Pourquoi miser spécifiquement sur les hard skills ?

Aujourd’hui, de nombreuses institutions mettent l’accent sur les soft skills. Chez FROJAL Education, nous croyons fermement que les hard skills sont tout aussi essentielles, pour trois raisons:

  1. Répondre aux besoins des entreprises : le niveau général des hard skills est réputé en baisse ; en tout cas, c’est ce que nous indiquent les entreprises. Avec une pédagogie exigeante, il est possible de corriger cela ; en tout cas, c’est ce que nous indiquent les écoles qui ont réussi à établir une solide réputation !
  2. Anticiper les défis de l’IA : le sujet qui vient pour les employés, c’est de rester compétitif face à « l’IA agentique » ; celle qui ne se contente plus de fournir des informations, mais qui exécute des tâches de plus en plus sophistiquées en autonomie. On dit souvent que comprendre et manipuler des données complexes, est un savoir-faire indispensable pour utiliser l’IA de manière intelligente. C’est aussi, on l’espère, ce qui permettra aux employés de garder une longueur d’avance par rapport à cette IA agentique.
  3. Respecter notre ADN d’expert dans le droit et le chiffre : nos formations sont ancrées dans l’expertise du groupe Lefebvre. Les compétences managériales, réglementaires, comptables et fiscales et les compétences en data sont donc au cœur de notre pédagogie, en synergie avec l’organisme de formation Lefebvre Dalloz Compétences qui intervient dans nos cursus.

Quel format avez-vous privilégié chez FROJAL Education ?

Malgré le contexte financier de plus en plus contraint, nous avons fait le choix de privilégier quand faire se peut l’alternance. Ce modèle a démontré sa pertinence en termes d’insertion rapide et efficace dans le monde professionnel. Mais il a une contrepartie : le temps passé en établissement par les étudiants est nettement plus réduit que dans une formation équivalente. Pour arriver à « déployer le plein potentiel des étudiants » – c’est littéralement notre raison d’être ! – il nous faut donc optimiser l’expérience apprenante, en s’efforçant de maintenir une pédagogie intensive et d’assurer un accompagnement resserré par des formateurs seniors, ayant une double compétence métier & formation.

Vous avez lancé votre première école du groupe FROJAL en 2024. Pouvez-vous nous en dire plus ?

En effet, nous avons lancé en 2024 Cybersup, une première école dédiée à la cybersécurité, pour répondre aux défis actuels de la protection numérique. Pour diriger cette école, nous avons recruté Manon Pellat, une startupeuse expérimentée dans le domaine de la formation à la tech. Elle apporte à Cybersup son expertise, son exigence et sa bienveillance, en parfaite adéquation avec notre ADN.

Cybersup a pour mission de renforcer les compétences techniques des futurs experts en réseau et cybersécurité, particulièrement à l’heure de l’IA. Et nous allons au-delà de ces hard skills en intégrant des cours sur la mise en œuvre de la réglementation de la cybersécurité, la gestion de projets complexes, et des soft skills métiers utiles dans leur contexte, comme la géopolitique de la cybermenace. Nous visons à former des techniciens capables de prendre du recul et d’avoir une vision plus large. Tous ne seront peut-être pas interchangeables avec des ingénieurs. Mais ils seront des professionnels complets, capables de leur donner le change dans un contexte professionnel, et d’évoluer avec succès.

Et vous, quelle vision avez-vous de l’éducation et de la formation dans le contexte actuel, au-delà des hard skills ?

Le risque du secteur éducatif, c’est de passer d’un extrême à l’autre. Avec le succès de l’alternance, on passe d’une logique de connaissances (théoriques) à une logique de compétences (pratiques). Or les deux sont nécessaires pour former convenablement les professionnels dans une économie compétitive ! Il nous faut donc de l’équilibre.

Or, il me semble justement que les évolutions récentes du secteur créent, à l’inverse, plusieurs déséquilibres :

  • On ouvre désormais l’accès à l’enseignement supérieur à la quasi-totalité des jeunes, mais leur niveau baisse (cf. enquêtes PISA, TIMSS…) ;
  • On prolonge les études sur les niveaux 6 et 7 (Bac +3 à Bac +5), grâce à l’alternance, mais il n’y a pas nécessairement de la place dans le monde du travail pour tout le monde à ces niveaux de qualification…. On voit de plus en plus fleurir des articles sur le mal-être et le sentiment de déclassement des lauréats de masters, qui ne trouvent pas de métiers convenant à leur statut. Avec les travaux de l’historien Peter Turchin, on sait désormais ce que risque une société victime de la « surproduction des élites » : de graves désordres sociaux ;
  • Sur un plan plus strictement pédagogique : à niveau de qualification équivalent, le temps passé en centre de formation est, nous l’avons dit, inférieur à celui que l’on aurait passé sur les bancs de l’université. On apprend moins de choses, et ce sont des choses bien plus centrées sur un métier donné. Or pour donner de l’adaptabilité aux jeunes – je parlais tout à l’heure de la nouvelle concurrence de l’IA – il faudrait malgré tout élargir les perspectives.

Comment faire face à ces déséquilibres selon vous ?

La question essentielle est de savoir quoi enseigner et comment, pour garantir une réelle plus-value pédagogique – dans des institutions qui ont été avant tout conçues pour accélérer l’insertion professionnelle (et qui sont évaluées en ce sens par le système du RNCP). Il faut donc penser à moyen terme. Profitons de la plasticité neuronale des jeunes (assez forte jusqu’à 25 ans environ), pour les former à des façons de penser nouvelles pour eux ! Justement, chez Cybersup, nous mixons les étudiants de différents cursus autour de projets concrets. Ce modèle en mode projet permet des transformations marquantes rapides. Un expert en systèmes d’information pourra ainsi comprendre les contraintes induites par l’IA Act dans le développement d’un projet IT, ou un juriste comprendre la gestion budgétaire d’un projet de mise en conformité.

Comment percevez-vous l’évolution de l’éducation et de la formation face aux défis technologiques et socio-économiques contemporains ?

Nous essayons d’être attentifs à plein de choses… mais notamment à l’intégration de l’IA d’une part, la diversification des parcours professionnels d’autre part.

L’IA a déjà un impact sur les compétences et l’emploi dans le secteur de la tech. Il n’y a pas d’autre choix que de l’intégrer pleinement dans nos approches pédagogiques actuelles. Chez Cybersup, par exemple, nous avons fait plancher les étudiants sur des projets de développement d’outils de détection intelligente des emails de phishing, d’automatisation des tests de pénétration de réseaux, ou encore d’élaboration d’algorithmes de reconnaissance faciale. Et en parallèle, on s’efforce de s’assurer qu’ils ne codent pas en utilisant un LLM sans comprendre ce qu’ils font !

Un des autres défis majeurs dans les métiers de la cybersécurité est de rediriger les jeunes vers des carrières moins « sexy » mais tout aussi importantes. Par exemple, en cyber, beaucoup se concentrent sur des carrières de « pentester », laquelle bénéficie d’une sorte d’aura mystique. Pourtant, il existe de nombreux autres métiers dans le secteur, mobilisant des hard skills et des soft skills, tels qu’analyste dans un Security Operating Center (SoC) ou consultant en Gouvernance, Risque et Conformité (GRC). Comme je pense la plupart des autres acteurs de la formation initiale privée, nous nous efforçons donc de confronter les jeunes à des professionnels de multiples horizons, pour élargir leur vision des débouchés possibles et expliquer pourquoi certaines voies sont meilleures pour leur employabilité à long terme.

Pendant notre échange, vous avez parlé à plusieurs reprises du lien entre l’enseignement supérieur et la formation professionnelle. Pouvez-vous nous en dire plus ?

A l’avenir, pour faire face à l’évolution des compétences et du marché du travail, le lien entre formations initiale et continue sera peut-être essentiel. Avec des dispositifs comme le CPF, nous pourrons sans doute articuler correctement les formations courtes et longues, permettant aux jeunes de se former aux outils et environnements techniques de demain, toujours en ayant en tête la course-poursuite entre les professionnels et l’IA… Dans la tech, l’auto-formation sur des ressources asynchrones gratuites est fréquente, et c’est très bien. Mais elle ne résout pas tout. On apprend aussi beaucoup au contact de formateurs, ou en voyant ses projets challengés par des experts. Tout cela a un coût, que le CPF permet d’amortir. Pour initier cette démarche, nous accueillons déjà sur notre campus des formations continues de Lefebvre Dalloz, permettant ainsi à nos étudiants de rencontrer des professionnels dotés de compétences pointues. Cela participe à la création d’un écosystème d’apprentissage riche et diversifié, bénéfique pour l’ensemble des parties prenantes.

Un dernier mot à ajouter ?

Le secteur privé a beaucoup bénéficié de la croissance du nombre d’étudiants, notamment avec la généralisation du bac et des études supérieures. Cependant, on prévoit une diminution du nombre d’étudiants, et les marges de manœuvre budgétaires de l’État se réduisent. Ce contexte doublement contraint risque d’entraîner davantage de friction entre le secteur public et privé. Il serait dommage de voir une guerre accrue entre le secteur public et privé, car il existe des opportunités de collaboration intéressantes, comme celles esquissées par le Programme Investissements d’Avenir. Plutôt que de s’opposer, nous devrions chercher à améliorer et rapprocher les deux systèmes. Comment ? La réglementation du secteur privé pourrait être repensée pour éviter les effets d’aubaine induits par l’apprentissage, comme dans le cas des entreprises « chasseuses de prime » mobilisant des alternants sans leur confier de véritables missions (et pas forcément au plus grand bonheur des CFA). Le secteur public, quant à lui, pourrait rééquilibrer ses priorités entre recherche et formation pour se rapprocher des entreprises ; certaines universités sont très actives en la matière. Un conflit stérile risquerait de nous faire perdre des années dans l’évolution du système éducatif. Agissons ensemble pour créer un système éducatif harmonieux et efficace, où public et privé collaborent pour le bien des étudiants et de l’économie.

Le point de vue de Learn Assembly

Chez Learn Assembly, nous croyons fermement à la mise en valeur des hard skills. Vouloir faire des techniciens des quasi-ingénieurs est une intention certes louable, mais qui comporte des défis majeurs :

  • La complexité technique accrue
  • L’exigence de compétences transversales pointues
  • Et une montée en compétences qui ne peut se faire efficacement sans un accompagnement structuré et des ressources pédagogiques solides

Par ailleurs, nous soutenons l’idée de renforcer le lien entre formation initiale et continue.  Nous observons souvent un décalage entre les besoins des entreprises et les compétences acquises en formation. Comme le souligne Antoine Amiel, « les entreprises ont un peu trop tendance à attendre des diplômés « finis », prêts à l’emploi. Or, quand on recrute un petit nouveau, il est normal de prévoir un accompagnement. Certes, les référentiels de compétences qui constituent l’architecture des diplômes sont parfois en décalage avec la réalité des besoins du marché, lesquels évoluent très vite, par exemple dans le numérique. Mais certaines compétences ne s’apprennent que dans le contexte du travail. » [1]

Découvrez comment Learn Assembly peut vous accompagner pour adapter votre stratégie de formation aux évolutions du monde de l’emploi. 


[1] Source : L’Express https://www.lexpress.fr/societe/education/education-quand-les-choix-dorientation-et-les-besoins-des-entreprises-ne-coincident-pas-ACAY32ZURFBC7OPFNTXUDUDKFY/?cmp_redirect=true

Learn Assembly est un cabinet de conseil hybride créé en 2013 qui accompagne la transformation de tous les acteurs de la formation et de l’emploi. Notre mission est de les aider à jouer un rôle stratégique dans leurs organisations pour répondre au défi des compétences, tout particulièrement dans un contexte de transition écologique et de transformation technologique. Nous accompagnons les directions générales et L&D de grands groupes, les acteurs publics et les établissements d’enseignement supérieur dans leurs évolutions stratégiques, digitales et pédagogiques.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Derniers articles

Sep-gris-@2-500
article transition énergétique étude écoles des réseaux

Etude sur l’emploi : la filière des réseaux électriques recrute 43 000 postes pour réussir la transition énergétique

article métier learning operations manager

Le Learning Operations Manager ou l’assurance qualité de la formation - Série métiers du L&D

article plein emploi en france (1)

Le plein emploi ou le mal-emploi ? - Décryptage du rapport du Conseil d’analyse économique

Article orientation des jeunes étude medef

Orientation des jeunes : le point de rupture ? - Learn Assembly vous résume l'étude du MEDEF

Article post linkedin du mois mars 2025

Mars 2025 : 9 publications LinkedIn incontournables sur l’emploi et le développement des compétences

article métier learning community manager

Learning Community Manager : comment devenir un stratège de l’engagement apprenant - Série métiers du L&D