Article initialement publié sur News Tank RH. Une tribune d'Antoine Amiel sur la transformation des directions de la formation dans un contexte de transition démographique, de massification de l'IA générative et de besoins de formation accélérés et permanents.
Sur le papier, les directions de la formation ont tout pour se réjouir tant les enjeux qui les concernent sont massifs : difficultés à recruter et à fidéliser, transition démographique, massification de l’IA générative, besoins de formation accélérés et permanents. De nombreux dirigeants commencent ou recommencent à percevoir l’enjeu stratégique des compétences.
On pourrait donc penser que l’heure des directions de la formation est arrivée : c’est paradoxalement tout le contraire qui pourrait arriver. Les critiques sont nombreuses et, pour certaines, très anciennes. Déconnexion du terrain, éloignement des réalités opérationnelles, lourdeur des processus, absence de culture du client interne etc. « Taper » sur la formation est un sport national dans les entreprises. Il y a aussi beaucoup de mauvaise foi, les équipes L&D étant parfois totalement sous-dimensionnées par rapport aux enjeux qu’elles doivent accompagner.
Une tribune d’Antoine Amiel, fondateur et président de Learn Assembly, pour News Tank.
Le premier facteur d’explication n’a pas grand-chose à voir avec la formation : les grands groupes français ont comme caractéristiques d’être de plus en plus diversifiés et de plus en plus internationaux. Leur lien à la France se fait distant. Ce mouvement organisationnel rend de moins en moins acceptable la centralisation par la France de toutes les décisions, et encore moins du pilotage des fonctions dites support. Qui plus est, les directions de la formation sont souvent très franco-françaises. Les équipes ne parlent pas toujours anglais et conçoivent des parcours avec un prisme trop franco-français.
Comme le disait un collègue, la propension des Français à considérer que le reste du monde est un décor devient de plus en plus inacceptable. La distance avec le terrain, parfois doublée d’une certaine arrogance, pousse désormais de nombreuses directions opérationnelles ou directions géographiques à développer leurs propres équipes formation, créant une forme de concurrence interne qui remet en question la valeur ajoutée des équipes centralisées, savamment tenues à distance. Cette tendance, à l’œuvre depuis déjà quelques années dans le retail, l’industrie ou la banque, s’accélère.
"La révolution technologique menace directement les postes de responsables formation"
Parallèlement, l’émergence de l’intelligence artificielle bouleverse les codes traditionnels de la formation. Les outils d’IA générative permettent aujourd’hui de créer du contenu pédagogique – de qualité certes variable – en quelques minutes, mais aussi de traduire des contenus, de créer des plans de communication, de transformer des power point d’experts en supports pédagogiques : la révolution est déjà là.
Cette révolution technologique menace directement les postes de responsables formation et surtout de concepteurs pédagogiques, dont les compétences traditionnelles semblent progressivement substituables par des solutions automatisées. Avec l’IA générative, les équipes formation doivent monter d’un cran et se positionner comme des facilitatrices, des négociatrices et des consultantes internes. Plus facile à dire qu’à faire. Les entreprises ont besoin de chefs de projet formation capables de rentrer dans le fond des sujets, de dialoguer avec les experts, de les cadrer. Trop souvent, les équipes pédagogiques se contentent de transposer en e-learning ou toute autre forme des contenus venant d’experts, sans réellement s’approprier le contenu et se rendre légitimes.
"Les directions de la formation peuvent profiter de cette vague de décentralisation pour se repositionner"
Les directions de la formation peuvent pourtant profiter de cette vague de décentralisation (fonctionnelle et géographique) pour se repositionner. L’avenir des directions L&D réside dans leur capacité à revendiquer pleinement le fait que la formation constitue un véritable métier, requérant une expertise pointue et spécialisée.
Plutôt que de se battre pour des ETP, mieux vaut nager avec le courant et se concentrer sur l’accompagnement, l’influence et le management de la qualité. Les modèles qui émergent privilégient des équipes restreintes mais expertes, positionnées en appui stratégique d’académies internes rattachées aux directions métiers. Cette approche permet de conjuguer proximité opérationnelle et excellence pédagogique.
"Une bonne formation vaut tous les baby-foots du monde"
Au-delà de sa dimension technique, la formation révèle sa valeur ajoutée sur le terrain RH et de l’engagement collaborateur. Les directions de la formation ont tout à gagner à mettre en avant la formation comme un levier d’engagement et de rétention. Une bonne formation vaut tous les baby-foots du monde. Elle constitue un puissant créateur de lien social au sein des organisations, favorisant les échanges interservices et interculturels. Les moments de formation deviennent des espaces privilégiés de cohésion et de partage, particulièrement précieux dans un contexte de travail atomisé. La formation est probablement l’un des meilleurs remèdes à l’accélération du temps, à la surcharge cognitive.
Les entreprises doivent revendiquer leur rôle de contributeur à la cohésion sociale.
Enfin, la formation représente un levier fondamental pour garantir l’égalité des chances en entreprise. La définition de l’inclusion, prise dans le sens intersectionnel du terme, me paraît assez étroite. L’inclusion, c’est inclure toutes les classes sociales, toutes les générations, toutes les cultures, tous les territoires. Cette mission sociétale confère aux directions L&D une légitimité renouvelée et un rôle central dans la construction d’organisations réellement inclusives, réellement apprenantes. Alors que l’ascenseur social semble avoir pris du plomb dans l’aile, les entreprises, au travers de leurs directions formation, doivent revendiquer leur rôle de contributeur à la cohésion sociale.
Les directions de la formation qui sauront articuler excellence opérationnelle, raisonnement business, connaissance de leur marché, culture du conseil interne et création de lien social s’imposeront comme des partenaires incontournables de la transformation des entreprises. Les autres seront perçues comme des centres de coûts technico-administratifs remplacés par des IA et des centres de services dans des pays à bas coût. La France, protégée par son dialogue social, sera au mieux un village gaulois intouchable mais dont on attend plus grand-chose.
Learn Assembly est un cabinet de conseil hybride créé en 2013 qui accompagne la transformation de tous les acteurs de la formation et de l’emploi. Notre mission est de les aider à jouer un rôle stratégique dans leurs organisations pour répondre au défi des compétences, tout particulièrement dans un contexte de transition écologique et de transformation technologique. Nous accompagnons les directions générales et L&D de grands groupes, les acteurs publics et les établissements d’enseignement supérieur dans leurs évolutions stratégiques, digitales et pédagogiques.
